Sens & Tonka
DE L'ÉPINEUSE SERVITUDE VOLONTAIRE
Pour reprendre une belle expression de Pierre Clastres, La Boétie serait-il un "Rimbaud de la pensée" ?
Qu'est-ce à dire, La Boétie, ce tout jeune homme, quand il écrivit Le Discours de la servitude volontaire, il n'avait pas 20 ans, deviendrait-il tel météore génial bouleversant la tradition? Il disparaîtra aussi soudainement qui était apparu, laissa la pensée dominante venir peu à peu occulter la vérité intolérable qu'il avait énoncée dans un moment d'incandescente fulgurance. La Boétie serait l'auteur d'une pensée subversive, scandaleuse. En tant que tel il est une figure d'exception dans l'histoire d'une philosophie politique moderne. À l'inverse de cette interprétation, somme toute rassurante, proposons une contre-thèse selon laquelle l'hypothèse de la servitude volontaire, loin d'être une exception, serait virale, elle ne cesse de hanter la pensée moderne, elle émerge, fait surface, à la faveur d'un événement, d'une grave crise historique, ou d'une controverse politique.
Textes de Miguel Abensour réunis :
Les leçons de la servitude volontaire et leur destin (1976) - Le totalitarisme et la servitude volontaire (2009) - Lettre - préface à L'art de l'amitié (2012)
Spinoza et l'épineuse question de la servitude volontaire (2015) - La Boétie prophète de la liberté (2018).
UTOPIQUE V. LE NOUVEL ESPRIT UTOPIQUE
Au-delà des prémices d’une œuvre à venir, la thèse, dans son économie générale, affiche un “écart absolu” si l’on compare ce texte à ceux précédemment écrits autour de l’utopie.
Miguel Abensour, reprenant la formule de Marx pour qui l’utopie est “l’expression imaginative d’un monde nouveau” ouvrant à l’émancipation humaine et à la “volonté de bonheur”, analyse les écrits, postérieurs à Marx, qui prennent au sérieux ces questions : ceux de Korsch, Labriola, Bloch, Landauer, Benjamin, Marcuse (il convient de noter ici l’intérêt porté par Miguel Abensour à la Théorie critique, alors méconnue en France). Cette analyse le conduit à se pencher sur le communisme critique, “le secret et la vérité des utopies socialistes-communistes” selon la formule de Marx, et à “utopianiser” celui-ci. On perçoit pleinement la novation de la lecture de Marx par Miguel Abensour. Ce qui le mène à aborder la question de l’État laquelle sera largement approfondie dans des écrits futurs.
La série «Utopiques» comporte cinq tomes :
Utopiques I. Le procès des maîtres rêveurs
Utopiques II. L’homme est un animal utopique
Utopiques III. L’utopie de Thomas More à Walter Benjamin
Utopiques IV. L’histoire de l'utopie et le destin de sa critique
Utopiques V. Le Nouvel Esprit utopique.
Le Salon des berces
Pourquoi avons-nous envie de faire une maison ?
Pourquoi avons-nous envie de l’entourer d’un jardin ?
”Comment imagine-t-on une maison ? Par quoi commence-t-on ? Existe-t-il une pièce plus importante que les autres ? Celui qui n’a jamais pratiqué l’exercice ne sait pas combien ces questions, exemplaires de trivialité, atteignent le fond de la conscience en malmenant nos habitudes puisque, soudain, elles interrogent leur bien-fondé.” (G. C.)
La maison est dans une vallée (des papillons), aujourd’hui La Vallée... Comment vit une maison sur un bout de planète de nature ? Elle la transforme en jardin qui devient pour le jardinier-maçon, puis créateur & savant, un lieu d’observation, d’action et d’expression, vie quotidienne et théorie, qui permettent d’appréhender les questions qui se posent, de comprendre ce qui se passe dans le Monde.
Gilles Clément raconte les péripéties sociales, les actions du corps et comment les idées viennent à l’humain et comment, et pourquoi cette espèce fait partie et rencontre toutes les autres et les plantes qui permettent le vivant, la vie.
Techniques et humanisme
L’humanisme est issu de l’hospitalité, une vertu née avant le langage. Le langage nous trahit : la mécanisation nous a tellement infestés que nous n’avons plus de vocabulaire humaniste : nous nous servons tous les jours de termes rationnels non-humains. L’urbanisme quotidien est confié aux services techniques, jamais à “l’humanitaire”... Ainsi, dorénavant, nous parlons le jargon technique : réseaux (une écologie pourtant) on comprend “géométrie disciplinaire”. Rue, une forme de communication humaine avant tout, elle est devenue voirie, une technique de la construction rationnelle.
La place moderne est devenue un instrument commercial ; cette piazza, que les grandes surfaces réservent, n’est qu’un accessoire utilitaire pour la vente, elle n’a aucune valeur humanitaire de rencontre. Nous sommes piégés par le vocabulaire “vendu” de la mécanisation... langage qui en retour nous mécanise dans la servitude, dans l’automatisme confortable.
Jardins, paysage et génie naturel
"Parler du jardin ou du paysage dans le cadre du Collège de France, c’est envisager le jardin et le paysage comme un ensemble susceptible d’être enseigné sous la forme de cours.De mon point de vue, le jardin ne s’enseigne “pas, il est l’enseignant. Je tiens ce que je sais du temps passé à la pratique et à l’observation du jardin. J’y ajoute les voyages, c’est-à-dire la mise en comparaison des lieux que l’homme habite et dans lesquels il construit à chaque fois un rapport au monde, une cosmologie, un jardin. J’y ajoute encore les rencontres, la diversité des pensées, la surprise, l’ébranlement des certitudes. Ces pratiques de terrain auxquelles je dois tout s’appuient néanmoins sur un alphabet du savoir, ce à quoi chacun de nous devrait avoir accès et que, précisément, on appelle des cours, nécessaires pour accéder à l’expérience.”
ÉLECTRONS & DISSIDENTS
La volonté d’Yves Stourdzé était d’explorer, et plus, l’introduction des nouvelles technologies numériques dans la société française et les modifications qu’elles suscitaient. Il y avait la théorie, les rapports, les colloques, enfin toute une armada pour expliquer, pour convaincre, pour obliger !
Il aimait convoquer tous les moyens afin de réveiller la Belle France et ses édiles, et ses Grands corps moisissant au pouvoir de l’inaction, de l’attentisme et de la censure. Il en pâtira de façon cuisante.
Ici il mobilise le cinéma et les enjeux politiques, les jeux troubles, il convoque les mauvais souvenirs de la société prête à oublier le pire.
Ce texte, loin d’être « fini » n’est pas non plus un état ; l’écriture d’Y. Stourdzé est fait d’un style qui met en bascule les attendus, chasse les démonstrations convenues, évoque, plus que ne prouve, convoque notre étonnement jusqu’à l’improbable, comme il le fit dans Les Ruines du futur (1970), il ouvre la plus belle porte du savoir : l’imaginaire mère de toutes les libertés ! Le non finito est peut-être l’abouti.
H. T.
Cet ouvrage n’est en vente que sur notre site.
AGONIE DU MONOLOGUE DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE
Le souhait d’Yves Stourdzé était d’explorer l’introduction des nouvelles technologies de communication dans la société française.
Il s’y consacra, dans les années soixante-dix/quatre-vingt, convaincu que les formes et détours du pouvoir devaient s’y révéler en modelant ces nouvelles inventions. C’est ce qu’il avait nommé généalogie. À ce moment, la grande crise du retard français en matière de téléphonie l’incita à mettre à jour le télégraphe, à fouiller plus profondément ce qui s’était fomenté lors de son invention. Il put alors découvrir, qu’après la Poste présente depuis le Moyen Âge, le modèle du pouvoir en plus se devrait alors de maîtriser ces techniques et d'en garder le contrôle. D’abord le télégraphe puis le téléphone.
Avec une équipe de chercheur, tous les supports de communication, qu’ils soient de paroles ou d’images, furent examinés, de même que les conditions de leur acceptabilité. SCOPIE DU POUVOIR DANS LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE, 2021, Éditions Sens&Tonka, Paris, présentait le travail concernant le télégraphe optique puis électrique.
Il nous a semblé nécessaire de faire connaître le travail concernant le téléphone qui éclaire enfin la crise des années soixante-dix et permettra à la société française d’être présente dans le nouvel «ordre» du monde.
En librairie le 16 janvier 2024
LE CONTRE HOBBES DE PIERRE CLASTRES
La guerre serait revenue ! On l’aurait, bien mal nous en a pris, oubliée... Elle se tenait ailleurs. Tout, d’ailleurs, se tient ailleurs : chez les sous-développés, les émergents, enfin ceux qui apprennent l’histoire et oubliant la leur. Le dédain, les erreurs d’appréciations (ou d’analyses) ne font que gonfler les refus, poussant à des déstructurations : du génocide, au massacre, à l’annexion et autres joyeusetés... Toute cette situation ouvre à un horrible absolu, à une vengeance aveugle, à une sorte de sauvagerie qui n’exista jamais, construite à dessein ouvrant à la terreur (nous en fûmes-nous pas les inventeurs) et la fabrication de la peur. Le Léviathan (Hobbes) réveillé refaçonne des États durs, met en place par la démocrature ses opportunistes politiques comme religieux ne jurant que par une paix qui attrape les mouches avec du vinaigre. Il nous a semblé qu’aller revisiter quelques pensées solides (Abensour, Sahlins, Clastres) en luttes contre les exploitations et les cache-sexes que sont domination, soumission, abondance, aliénation et addiction planquées derrière des mirages (dont le métavers n’est pas le moindre) pouvaient nous être très utiles et remettre un peu les idées en place (si cela est encore possible).
Ainsi, ce texte de 1987 est à lire avec l’expérience des cinq dernières années en vue de les décrypter afin de percevoir l’avenir au-delà des pleurnicheries qui envahissent notre quotidien, qui brouillent nos entendements et entretiennent une prétendue nécessité d’un État de Guerre fondateur, de tout temps, d’Histoire.
En librairie le 16 janvier 2024
(un) abécédaire des friches
COORDONNÉ PAR FABRICE LEXTRAIT ET MARIE-PIERRE BOUCHAUDY
Produire du Commun est une condition indispensable à la réussite de la transformation sociétale qui nous incombe. Des artistes, des acteurs culturels, des techniciens, des élus et des populations expérimentent quotidiennement des modes de création et de production artistiques, des démarches collectives et collaboratives et des formes de gouvernance qui contribuent à la réflexion sur cette mutation.En 2001, le rapport Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires... : une nouvelle époque de l’action culturelle, commandé par Michel Duffour, secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, avait permis de décrire et de rendre visibles ces espaces intermédiaires, physiques et symboliques, dessinant de nouveaux rapports entre art et société.
Depuis, des chercheurs ont documenté ces initiatives et produit de nombreux ouvrages.Vingt ans après les Rencontres des nouveaux territoires de l’art à La Friche la Belle de Mai, trente d’entre eux – philosophes, économistes, sociologues, architecte, paysagiste – explicitent et précisent, sous la forme d’un abécédaire, le vocabulaire et les concepts initiés ou développés par et autour de ces démarches singulières.
30 auteurs pour 120 mots
Lauren Andres, Hugues Bazin, Raphaël Besson, Patrick Bouchain, Bruno Caillet, Étienne Capron, Gilles Clément, Emmanuelle Gangloff, Gwénaëlle Groussard, Gabrielle Halpern, Philippe Henry, Isabelle Horvath, Arnaud Idelon, Cassandre Jolivet, Luc de Larminat, Fabrice Lextrait, Alain Lipietz, Matina Magkou, Léa Massaré di Duca, Isabelle Mayaud, Hélène Morteau, Pascal Nicolas-Le Strat, Cécile Offroy, Fabrice Raffin, Marta Rosenquist, Laurence Roulleau-Berger, Dominique Sagot-Duvauroux, Colette Tron, Emmanuel Vergès, Joëlle Zask.
La lettre au carré
Trames, tables, échiquiers… S’intéresser à la poésie à la lettre, c’est rencontrer, du IVe siècle jusqu’à nos jours, un ensemble de carrés de signes pour le moins spectaculaires. Éloges de l’empereur, rêves sur la croix, nomenclatures fantasmées… Comme si cette mise au carré de l’écriture laissait percer un idéal : l’avènement d’un ordre, réunissant en une forme parfaite, éternelle, le poème et son inscription graphique.
À l’épreuve, la perfection en tous sens du carré favorise pourtant une étrange propension : à élargir les directions de lecture, d’écriture. On connaît assez les carrés magiques dont les chiffres s’additionnent de toutes les manières. Le carré de lettres, de ce point de vue, peut aussi bien se situer à l’aboutissement d’un affolement du sens et d’une poésie des mots, des signes se recomposant sans cesse. Le carré ? Et pourtant il tourne.
Car il s’agit bien de retrouver les grandes figures régulatrices de la cosmologie, des calendriers ; mais pour les relire, les redistribuer ou plutôt : les remettre en mouvement et en jeu. La poésie, si elle jette sur la feuille de merveilleuses constellations habitables, n’a de cesse de rendre au ciel étoilé ses infinies possibilités de lecture. Peut-être aussi parce qu’elle commence dans la mise en demeure du médium même dans lequel elle est engagée. Qu’elle interroge fondamentalement la découpe des mots, et par la même occasion, du monde, la suspend un instant, lui fait perdre toute évidence.
De Trithème à Tristan Tzara, de Maurice Scève à Jacques Roubaud, de Du Monin à Ghérasim Luca, de Raban Maur à Michèle Métail, courent ainsi des fils qui, de siècles en siècles, dessinent une véritable continuité. Lire ces auteurs, les confronter avec les philosophes, les kabbalistes ou les linguistes de leurs temps, c’est retrouver le temps long de la poésie comme un de ses horizons inexpugnables : le rêve d’une langue qui bougerait si vite, si constamment, qu’elle continuerait à parler mais sans figer la moindre découpe. Une langue infiniment labile, en perpétuelle restructuration ; un rêve de langue, peut-être, au revers de ce que fait toute langue – mais à même de nous rendre à la relance indéfinie du partage du monde.