Déjà Paru
PENSER CONTRE
Selon Patrice Vermeren, Horacio Gonzalez a conceptualisé le geste d’auteur et d’éditeur de Miguel Abensour comme un « processus de libération des textes ». Il s’agit moins pour lui, dit H. Gonzalez, de théoriser sur l’utopie que de l’invoquer avec des textes propitiatoires afin de discerner ses mécanismes et son fonctionnement. Il s’agit de lire Abensour lisant ou éditant des textes oubliés ou retrouvant le fil conceptuel perdu d’autres textes, non pas en tant qu’il en proposerait une interprétation nouvelle qui donnerait matière à légitimer le dispositif spéculatif de son propre système philosophique qu’il chercherait à nous imposer, mais en ceci qu’il nous incite à penser par nous-mêmes avec lui. Soit la dimension d’une nouvelle exigence de la pensée, qui déplace la question de son rapport au politique.
« Abensour était un homme de l’égalité, un homme du conflit pour mieux établir un lien d’égalité. Dans n’importe quel entretien qu’il vous accordait, il s’arrangeait toujours pour rétablir l’égalité, vous poser une question, vous dire qu’il ne connaissait pas telle référence à laquelle vous aviez fait allusion, tandis que c’est vous qui étiez demandeur de ses références et de ses réflexions. Il récusait le paradigme de l’ordre pour celui du lien, tant dans les rencontres individuelles que dans la communauté politique. C’était son côté spinoziste : plutôt qu’un pouvoir sur les hommes, valoriser un pouvoir entre les hommes et avec les hommes, parce qu’il augmente la puissance d’agir. « Qu’est-ce qu’une bonne rencontre, à l’opposé du malencontre, sinon l’événement heureux où se forme entre les hommes un nouveau lien, un nouveau tissu relationnel tel que ce tissu augmente aussitôt la puissance collective d’agir, la puissance d’agir de concert ? ».
P. V.
“Qu’est-ce qu’une bonne rencontre, à l’opposé du malencontre, sinon l’événement heureux où se forme entre les hommes un nouveau lien, un nouveau tissu relationnel tel que ce tissu augmente aussitôt la puissance collective d’agir, la puissance d’agir de concert ?”
M. A.
L'IMAGE INVISIBLE
« À travers un des poèmes qui le composent, intitulé “Gris lumière”, cet ouvrage fait écho au temps gris clair aimé de Cézanne, où se révèle pleinement, ce gris qui, dit-il, “seul règne dans la nature” et qui, selon Baudelaire déjà, “résume en lui toutes les couleurs”.
“Journal”, le texte sur lequel s’ouvre L’image invisible, reflète le dessein qui sous-tend l’ensemble : donner corps au rêve d’un livre qui par son propre mouvement s’élaborerait indéfiniment, de jour en jour, sans qu’un terme lui soit prescrit, comme il en va de la vie même. » J.-P. B.
"Sont-ils miens, ces mots béants
il est mort – tu es mort –
hier ? ou voici des années ? toi
dont parfois la main fraternelle
vient encore guider la mienne
tu es mort — tu es vivant.
J.-P. B.
LA LUMIÈRE ET LA BOUE
Texte 1
« Le Rouge et le Noir est une œuvre énigmatique. Énigme plurielle. D'abord, il y a le titre. Classiquement, en s'appuyant sur les propres déclarations de Stendhal, on l'interprète comme si le Rouge évoquait les carrières militaires et le Noir les carrières ecclésiastiques. Mais est-ce bien sûr ? Méfions-nous des explications de Stendhal dont nous savons qu'il avait un goût prononcé pour la mystification.
En outre, il s'agit d'un roman écrit « à l'ombre de...» : certains protagonistes agissent et se déplacent sur une double scène, la scène contemporaine du roman, la France de la Restauration, et une autre scène située dans une époque passée qui a valeur d'exemple. Double scène donc, dans la mesure où les protagonistes trouvent la source de leur conduite dans l'identification à un modèle choisi dans le passé et dont ils s'efforcent d'imiter les hauts gestes et les grandes actions, en dépit de la résistance du temps présent. »
Texte 2
“Pour reprendre la fameuse formule d’Anacharsis Cloots, “Ni Marat, Ni Roland”, la ligne directrice de cet essai sera : “Ni Soboul, Ni Furet”. Le pari est fait que le temps est venu de proposer une lecture qui se tienne à l’écart des idéologies qui ont présentement cours, soit l’identification du jacobinisme à une préfiguration du léninisme, soit la glorification de Thermidor. Autrement féconde nous apparaît l’approche de R. Bodei qui, dans La Géométrie des Passions, en confrontant le projet jacobin à Spinoza dévoile une nouvelle constellation dans laquelle le recours à la crainte et à l’espoir, loin de viser à l’asservissement du peuple travaille à sa libération. Aussi cet ouvrage aura-t-il pour ambition de ‘s’expliquer avec Saint-Just’ en faisant de la question politique le lieucritique par excellence ?
Une des intentions de mon travail critique est d’aboutir à la mise en lumière de ce que j’appelle, l’aporie de l’héroïsme. L’action politique ne peut pas se passer du courage, voire de l’héroïsme, mais la forme héroïque, l’intrigue de l’héroïsme ne conduisent-elles pas souvent à une sortie du politique, à la dénégation de la logique qui lui est propre.”
M. A.
PRISMES Théorie critique * Volume 2/2019
- Membre du comité Prismes : Katia Genel, Anne Kupiec, Gilles Moutot, Géraldine Muhlmann -
Contenu du volume 2/2019 :
Contributions
Antonin Wiser, Les mains de Benjamin
Efi Plexousaki, Les tournements de la “crise des réfugiés”
à Lesbos : terrains de conflits, dynamiques de cohabitation (2015-2018)
Sylwia Chrostowska, L’utopie dans la théorie critique
contemporaine
Benjamin Torterat, Poésie et perspectives d’émancipations
Montage
The Prophets of Deceit, Leo Löwenthal, Norbert Gutermann
Précédé d’une introduction de Katia Genel, L’agitateur, un révélateur des tendances latentes de la société moderne
Minima moralia
Géraldine Muhlmann, Emmanuel Macron et “l’esprit de conquête”
Lectures
La Démocratie contre les experts de Paulin Ismard par Véronique Moutot-Narcisse
L’Homme superflu de Patrick Vassort par Anne Kupiec
Le cœur de Brutus
Pour reprendre la fameuse formule d’Anacharsis Cloots, “Ni Marat, Ni Roland”, la ligne directrice de cet essai sera : “Ni Soboul, Ni Furet”. Le pari est fait que le temps est venu de proposer une lecture qui se tienne à l’écart des idéologies qui ont cours, soit l’identification du jacobinisme à une préfiguration du léninisme, soit la glorification de Thermidor. Autrement féconde nous apparaît l’approche de R. Bodei qui, dans La Géométrie des Passions, en confrontant le projet jacobin à Spinoza dévoile une nouvelle constellation dans laquelle le recours à la crainte et à l’espoir, loin de viser à l’asservissement du peuple travaille à sa libération.
Cet ouvrage aura pour ambition de "s'expliquer avec Saint-Just" faisant de la question politique le lieu critique. Il comprend deux volets : l’un consacré à la philosophie politique de Saint-Just, l’autre à l’héroïsme et à sa prégnance dans l’agir révolutionnaire.
Chants d'utopie (deuxième cycle)
Réunis en neuf chants, trois livres en un nous mènent à de nouvelles épopées où, selon son principe habituel mêlant utopiquement l’historique au mythique, Brice Bonfanti tente à imaginer l’issue – toujours insensée quand bien même mise à distance de ses aberrations et de ses contradictions, d’un univers neuf : “L’œuf”, éternellement en quête de l’inédit d’un monde nouveau dans lequel chimère, politique, religion, biologie et physique au parfum d’utopie se côtoient; des lieux et des figures tirées de notre Histoire se révèlent au travers de croisements et de situations dans nombre de pays de notre planète.
Neuf chants où l’auteur s’empare de l’espérance d’un temps retrouvé consacré à la recherche de la création d’un monde, autre.
Visages de pierre
" ... L’idée avait insidieusement pris corps depuis qu’un certain jour, perdue dans l’ennui sans fin d’une salle d’attente, je levai les yeux au plafond et y croisai une drôle de figure dans les rondeurs de ses motifs en relief ; une occurrence qui signa le départ pour un voyage en solitaire soumis à la découverte de visages de pierre de plâtre de brique de béton ou de caillasse naturellement marqués d’inscriptions érosives – agrémentés parfois de quelque facétie humaine – reconnus et salués au hasard du temps. Vertige de l’esprit, transfigurations tonales.
Qu’y voir d’autre qu’un appel à l’imaginaire ? »
La bibliothèque de Miguel Abensour
Les professeurs disposent d’une bibliothèque personnelle, c’est une évidence. Celle de Miguel Abensour, qui fut professeur de philosophie politique, le confirme. Forte de près de 9 000 volumes, cette bibliothèque se distingue par des spécificités que nous présentons dans un inventaire qui se veut d'être un instrument de travail pour toutes les personnes intéressées par les écrits et la pensée de M. Abensour ainsi que par les thèmes qu’il a étudiés et sur lesquels il a travaillé : l’utopie, la pensée de Marx, l’héroïsme, Saint-Just, la théorie politique.
Le Blanc
« Je ne me serais pas intéressé au blanc s’il n’apparaissait constamment comme une anomalie du paysage, tantôt le valorisant, tantôt le dégradant.
" Dans la nature, le blanc n’existe pas ". Assertion frappante. Je la tiens de Bernard Lassus, alors enseignant en art plastique à l’École du paysage de Versailles.
Elle contenait un défi : Si vous ouvrez les yeux, vous verrez, le blanc n’existe pas, enfin pas comme on l’entend, ou alors c’est une exception. À vous de démontrer le contraire. Cela n’était pas dit mais sous-entendu et suffisait pour capter l’attention vers cette affaire apparemment minime du paysage.
Il n’existe pas de blanc au sens nettoyant du terme (laver plus blanc). C’est une chance. Mais il existe une infinité de tons clairs, répartis sur les supports les plus divers. On peut en établir une liste. Elle se présente dans l’ordre alphabétique des catégories identitaires du blanc dans le paysage d’aujourd’hui.
D’une manière ou d’une autre, les composantes inertes du paysage se trouvent liées au vivant en tant que système mais il arrive qu’on les perçoive pour elles-mêmes sans identifier les êtres auxquels elles se trouvent associées : une plage de sable blanc, une cime enneigée, une falaise de craie.
Le blanc intervient alors de façon massive, occupant tout le regard et, même s’il s’agit d’un phénomène temporaire – le ciel, l’écume, la neige – il peut identifier un territoire durablement. » G. C.
L'Écart absolu : Miguel Abensour
Gilles Labelle est professeur à l’Université d’Ottawa (Canada) depuis 1993 où il enseigne la pensée politique à l’École d’Études politiques. Il est aussi membre du comité directeur d’un centre de recherche (le CIRCEM) à la même université, où il dirige un axe consacré aux « fondements du politique ».
De la collection de Miguel Abensour :
La collection “Miguel Abensour” se créa du vivant de l’auteur.
Par modestie, il nous avait demandé de la suspendre et de publier ses textes dans les collections traditionnelles de nos éditions, à une exception près : la série des Utopiques (I, II, III, IV).
Nous étions alors convenu, selon sa volonté dès lors maintenue par ses héritiers, qu'après sa disparition nous continuerions de constituer un “fonds Abensour”, que nous préférons nommer “Collection”, dont la mission est de poursuivre, ainsi que l’auteur les avait conçus ou envisagés, la publication des inédits, de même que d’opérer les regroupements.
En aucun cas il ne s'agit d'une “œuvre complète”, mais simplement d'une “œuvre” utile afin que sa pensée se prolonge en d’autres...
L’ouvrage de Gilles Labelle,
L'Écart absolu : Miguel Abensour,
est le premier.
"Pourquoi “l’écart absolu” ? Pourquoi “écart”, et pourquoi “absolu” ? “Écart”, d’abord, par rapport à quoi ? Une “pensée libre” entendue en ce sens est ou n’est pas – elle ne peut se tenir que dans un écart “absolu” avec le réel existant. Pour Miguel Abensour, l’enjeu de toute pensée critique consistait à se situer à distance des “lignes culturelles et politiques” qui orientent et organisent le réel existant. Il est aisé de se dire “critique” ; il l’est beaucoup moins de circonscrire un lieu — et de s’y tenir — où ces “lignes culturelles et politiques” sont tenues à distance, où la pensée se conjugue avec une liberté qui fait entrevoir d’autres chemins, d’autres voies. Un Ailleurs. Cette pensée annonce obstinément le “retour des choses politiques”, que le réel existant cherche à recouvrer, pour lui substituer la Nécessité économique ou la Morale. L’écart absolu n’est pas l’“objet” de l’œuvre de Miguel Abensour : plutôt que d’en parler, il serait plus juste de dire qu’elle l’incarne."